Les années révolutionnaires avaient mis un frein au mouvement des lords anglais et des princes russes. Mais le Consulat installé, la noria des touristes reprend et Jean-Joseph de Verneilh, préfet du département du Mont-Blanc, s’engage à son tour sur l’itinéraire consacré, en faisant coup double avec un détour par Ferney et une halte émue à Genève devant la maison natale de Jean-Jacques.
Pendant le jour que je passai à Genève, j’allai visiter à une lieue de là, du côté du nord-ouest, l’habitation de Voltaire à Ferney. C’est une maison assez élégante, bâtie dans le nouveau goût et située avantageusement, ayant au midi des jardins et bosquets très agréables, et au nord une belle avenue avec une chapelle contre laquelle est adossé un monument pyramidal, dans lequel Voltaire avait sans doute voulu être enterré ; mais comme il mourut à Paris, son cœur seul fut embaumé et transféré à Ferney où il est déposé dans sa propre chambre à coucher, dans un mausolée en marbre noir adossé au mur, sur lequel on lit ces deux inscriptions : son esprit est partout, et son cœur est ici – mes mânes sont consolés puisque mon cœur est au milieu de vous. Autour de cette chambre sont suspendus les portraits du Grand Frédéric, de Lekain, de l’impératrice de Russie, de Franklin. Washington, Pierre Corneille, Racine, Thomas, Diderot, d’Alembert, Newton, du duc de Choiseul, de la marquise du Châtelet, de Marmontel, Delille. On a conservé dans cette chambre les mêmes lits, fauteuils et autres ameublements qui y étaient du temps de Voltaire. A côté de la chambre de Voltaire est encore un petit billard, auquel cet homme d’esprit se délassait de ses travaux. J’eus le plaisir d’y faire une partie avec mon compagnon de voyage (le citoyen Samuel Bernard). Cette maison appartient aujourd’hui à M. Budet et à Madame Beaufort, auteur de quelques ouvrages de poésie ; de manière que cet ancien Temple de l’Apollon français semble habité par une muse. Ferney était anciennement située sur l’extrême frontière de la France, et comme aux Portes d’une ville libre et indépendante, considération qui sans doute avait déterminé Voltaire à en faire l’acquisition. Il fait partie aujourd’hui du département du Léman.
Entre 1802 et 1804
Société savoisienne d’histoire et d’archéologie
Communiqué par Robert Porret