Re-tuer Voltaire

Il faut, il faudra, encore et toujours, re-tuer cet homme-là…


Alors, ses adeptes l’entendaient eux-mêmes, au milieu de ses troubles et de ses frayeurs, appeler, invoquer et blasphémer alternativement ce Dieu, l’ancien objet de ses complots et de sa haine. Avec les accents prolongés du remords, tantôt il suppliait : « Jésus-Christ ! Jésus-Christ ! », tantôt il se plaignait de se voir abandonné et de Dieu et des hommes. La main qui avait jadis tracé la sentence d’un roi impie au milieu de ses fêtes semblait avoir écrit sous les yeux de Voltaire mourant cette antique formule de ses blasphèmes : Ecrase donc l’infâme ! Il cherchait vainement à effacer cet affreux souvenir ; c’était le temps de se voir écrasé lui-même sous la main de l’infâme qui allait le juger. Ses médecins, M. Tronchin lui-même, arrivaient pour le calmer ; ils en sortaient pour confesser qu’ils avaient vu la plus terrible image de l’impie mourant.

Barruel, Augustin, Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, 1797


Tantôt il appelait à son secours, tantôt il blasphémait ce Dieu qu’il avait si longtemps et si cruellement outragé. D’autres fois, avec les accents prolongés du remords, il s’écriait : Jésus-Christ ! Jésus-Christ ! Jésus-Christ !… Nouveau Balthazar, et mille fois plus coupable, il croyait voir la main d’un Dieu vengeur qui traçait sur les murs de sa chambre l’arrêt de sa condamnation, er commençait à sentir le poids formidable du bras de ce Christ qu’il s’était si souvent efforcé d’écraser. A la vue de l’enfer qui allait s’ouvrir sous ses pieds et l’engloutir dans ses flammes, il redoublait ses fureurs et ses cris, et mourut livré au plus affreux désespoir. A un spectacle si effrayant, le maréchal de Richelieu prit la fuite et Tronchin s’écria : « Voilà la plus terrible image de l’impie mourant. »

[Anonyme], Histoire de Jeanne d’Arc, dite la Pucelle d’Orléans, 1817


Alors, ses adeptes l’entendaient eux-mêmes, au milieu de ses troubles et de ses frayeurs, appeler, invoquer et blasphémer alternativement ce Dieu, l’ancien objet de ses complots et de sa haine. Avec les accents prolongés du remords, tantôt il suppliait : « Jésus-Christ ! Jésus-Christ ! », tantôt il se plaignait de se voir abandonné et de Dieu et des hommes. La main qui avait jadis tracé la sentence d’un roi impie au milieu de ses fêtes semblait avoir écrit sous les yeux de Voltaire mourant cette antique formule de ses blasphèmes : Ecrase donc l’infâme ! Il cherchait vainement à effacer cet affreux souvenir ; c’était le temps de se voir écrasé lui-même sous la main de l’infâme qui allait le juger. Ses médecins, M. Tronchin lui-même, arrivaient pour le calmer ; ils en sortaient pour confesser qu’ils avaient vu la plus terrible image de l’impie mourant.

Nicolardot, Louis, Ménage et finances de Voltaire, 1864, t. II, p. 293


Voltaire mourut dans un hideux désespoir. De toutes les maisons d’alentour on put entendre ses cris de rage.

Eugène de Mirecourt, La Queue de Voltaire, 1864, p. 138


Les derniers moments de Voltaire furent horribles, indescriptibles. Dans son délire, il se disait abandonné de Dieu, implorait le Sauveur et criait : « Jésus-Christ, Jésus-Christ, ayez pitié de moi ! » En proie à toutes les convulsions, à toutes les fureurs du désespoir, les yeux égarés, blême et tremblant d’effroi, il s’agitait en tous sens, et le malheureux alla jusqu’à dévorer ses excréments. C’était un véritable enfer anticipé. […] C’était le soir du 30 mai 1778. Onze heures un quart venaient de sonner, quand Voltaire expira ainsi, à l’âge de 84 ans, en voyant le diable le saisir, l’enfer s’ouvrir, et en sentant une main invisible le traîner au tribunal de Dieu.

[Anonyme], La Statue de Voltaire érigée par lui-même, 1867


Mais, d’après d’autres récits, beaucoup plus authentiques, il mourut dans la rage et le désespoir, répétant : « Je suis abandonné de Dieu et des hommes ! » Il criait aux faux amis qui assiégeaient son antichambre : « Retirez-vous ! c’est vous qui êtes la cause de l’état où je suis. Retirez-vous ! Je pouvais me passer de tous vous autres ; c’est vous qui ne pouviez vous passer de moi ; et quelle malheureuse gloire m’avez-vous donc value ! » Et au milieu de ses terreurs et de ses agitations, on l’entendait, simultanément ou tour à tour, invoquer et blasphémer le Dieu qu’il avait poursuivi de ses complots et de sa haine. Tantôt d’une voix lamentable, tantôt avec l’accent du remords, plus souvent dans un accès de fureur, il s’écriait : « Jésus-Christ ! Jésus-Christ ! » Richelieu, témoin de ce spectacle, s’enfuit en disant : « En vérité, cela est trop fort, on ne peut y tenir ! »

L’horrible drame continua. Le moribond se tordait sur sa couche, se déchirait avec les ongles. Il demandait l’abbé Gaultier ; mais les adeptes, présents dans l’hôtel, empêchèrent qu’un prêtre, recevant les derniers soupirs de leur patriarche, ne gâtât l’œuvre de la philosophie. A l’approche du moment fatal, une nouvelle crise de désespoir s’empara de son âme : « Je sens, criait-il, une main qui me traîne au tribunal de Dieu. » Et tournant vers la ruelle de son lit des regards effarés : « Le diable est là ; il veut me saisir… Je le vois… Je vois l’enfer… Cachez-les-moi. » Enfin, il se condamna lui-même réellement à ce festin auquel son ignorance et sa passion anti-biblique avaient fait asseoir si souvent le prophète Ezéchiel ; et, sans moquerie cette fois, dans un accès de soif ardente, il porta à sa bouche son vase de nuit et en vida le contenu. Puis il poussa un dernier cri, et expira au milieu des ordures et du sang qui lui sortait par la bouche et les narines. »

Ulysse Maynard, Voltaire, sa vie et ses œuvres, 1867, t. II, p. 617-618


Cette âme réprouvée eut donc à souffrir aux enfers le mal physique. Elle en porta, comme il était juste, le poids le plus accablant, et sa manie furieuse d’antichristianisme lui valut de la part des Démons un acharnement de cruauté dont elle pouvait seule être l’objet. […] Celui qui le premier l’eut à sa disposition se fit un jeu de le lancer à plusieurs reprises contre les pointes d’un noir rocher, où le malheureux s’enfonçait chaque fois avec des tressaillements de douleur, et d’où il retombait sur des cailloux aigus. Un autre, plus cruel encore, l’étendit sur une roue patibulaire médiocrement exhaussée, et là, dans l’espace de quelques heures dont tous les moments furent mis à profit par le fougueux Démon, d’effroyables coups de barre lui brisèrent mille fois les os. Un troisième prit plaisir à l’écarteler. Un quatrième le joignit à une liste de novateurs et d’impies célèbres qu’il avait tenaillés à différentes époques. Il souffrit cent autres supplices où le fer était employé d’une manière atrocement cruelle, et dont l’invention eût fait honneur à Phalaris. Enfin, on le mit aux prises avec le plus terrible agent de douleur qui soit connu des vivants et des morts, avec le feu. Un lac immense de bitume, dont la surface bouillonnante exhalait par intervalles des tourbillons de flammes, le reçut dans ses flots embrasés. Il en reconnut les tristes habitants ; il entonna avec eux le cantique lugubre de hurlements et de cris de rage qui retentit à jamais sur le funeste lac. Plongé dans des torrents de feu liquide et sans éclat, tourmenté, dévoré, et tantôt se débattant au milieu de ces noires ondes, tantôt s’efforçant, mais en vain, de gravir sur les roches calcinées qui en formaient l’enceinte, il fut longtemps pour les réprouvés que le hasard conduisit au bord de ces roches, un objet de terreur et de pitié. Dix années qui s’écoulèrent le virent successivement au sein du lac terrible. Puis on convint de lui épargner désormais les supplices ; on lui dit d’aller en paix où bon lui semblerait ; et par cette disposition nouvelle, on le livra perfidement à ses souvenirs, à ses regrets, à ses agitations intérieures, à son éternel désespoir.

La Voltairiade, ou Aventures de Voltaire dans l’autre monde, par Joseph Grambert, 1815


Voltaire à Ferney