Le monde musulman a besoin d’un Voltaire

Seydi Diamil Niane

C’est dans ces circonstances où des hommes prétendent pénétrer le désir politique de Dieu et massacrent des êtres humains à causes des paragraphes, qu’on n’a besoin d’un Voltaire musulman pour produire un nouveau Traité sur la tolérance. Ce traité sur la tolérance aura pour seul but la réhabilitation de l’homme, vicaire de Dieu sur terre et réceptacle du souffle divin.

Le monde musulman a besoin d’un Voltaire pour réhabiliter la raison et mettre l’homme au centre même de nos préoccupations ; un Voltaire qui dira, sans aucune peur de se faire excommunier, qu’un dieu qui a besoin de massacrer sa créature pour exister est un dieu faible. Ce Voltaire expliquera aux fanatiques que l’Omnipotent pour Lequel des millions de musulmans se prosternent matins et soirs n’est pas ce dieu pervers auquel ils font allégeance. Il leur dira : «ne cherchez point à gêner les cœurs, et tous les cœurs seront à vous. [1]» Il leur dira, plus la religion musulmane est divine, «moins il appartient à l’homme de la commander ; si Dieu l’a faite, Dieu la soutiendra sans vous. [2]» Ce Voltaire leur murmurera que «Si la persécution contre ceux avec qui nous disputons était une action sainte, il faut avouer que celui qui aura tué le plus d’hérétiques serait le plus grand saint du Paradis. [3]» Il leur rappellera aussi que «la religion est instituée pour nous rendre heureux dans cette vie et dans l’autre.[4]»

Je rêve de ce Voltaire qui expliquera à mes coreligionnaires que nul n’est pire que celui qui pense adorer Dieu en allant à l’encontre de Sa Volonté. «Point de contrainte en matière de religion», dit le Coran. Toute tentative d’imposer la foi par la force est une hérésie. Ce Voltaire leur récitera le verset suivant : «Si Allah avait voulu, Il aurait certes fait de vous une seule communauté. Mais Il laisse s’égarer qui Il veut et guide qui Il veut. Et vous serez certes, interrogés sur ce que vous faisiez.» Il leur rappellera cet autre verset : «Tu (Muhammad) ne guides pas celui que tu aimes: mais c’est Allah qui guide qui Il veut.» Ou encore «Allah ne vous défend pas d’être bienfaisants et équitables envers ceux qui ne vous ont pas combattus pour la religion et ne vous ont pas chassés de vos demeures. Car Allah aime les équitables.»

Ce Voltaire aurait rappelé à mes coreligionnaires qu’il y a certes des versets qui légitiment la violence. Mais dans une seule et unique situation : lorsque nous sommes attaqués. Pour preuve, il leur aurait cité le verset suivant : «Combattez dans le sentier d’Allahceux qui vous combattent, et ne transgressez pas. Certes, Allah n’aime pas les transgresseurs! Et tuez-les, où que vous les rencontriez; et chassez-les d’où ils vous ont chassés: la corruption est plus grave que le meurtre. Mais ne les combattez pas près de la Mosquée sacrée avant qu’ils ne vous y aient combattus. S’ils vous y combattent, tuez-les donc. Telle est la rétribution des mécréants. S’ils cessent, Allah est, certes, Pardonneur et Miséricordieux.» Il leur dira que le verset débute par «Combattez dans le sentier d’Allahceux qui vous combattent» et que toute transgression est prohibée. Il leur dira, conformément au texte coranique, mais aussi au droit international, que la légitime défense est un droit fondamental. Mais il aura l’audace de dire à mes coreligionnaires que dans une démocratie seule l’État a le monopole de la violence.

Ce Voltaire dira à tous les Michel Onfray qui s’autoproclament spécialistes de l’islam, qu’on ne peut pas prendre des versets, les sortir de leurs contextes et sans les lire dans la globalité du message coranique. À peu près, le Coran compte 6300 versets dont environs 200 normatifs. Parmi ces 200 versets, certains parlent des transactions humaines, d’autres du statut personnel et quelques-uns, de la violence. Mais il serait malhonnête, leur dira Voltaire, d’extraire la partie «violente» des versets normatifs de l’ensemble des 6300 versets du Coran. Il leur montrera qu’il faut une approche holistique du Coran pour ne pas tomber dans des dérives extrémistes ou dans la bassesse intellectuelle.

Il dira aussi à mes coreligionnaires que le Coran n’est pas un code juridique; qu’on ne peut pas appliquer une loi prétendue céleste sur les enfants de la terre qui ne se réfèrent pas au même Dieu et ne se dirigent pas vers la même qibla.

Ce Voltaire œuvrera pour une lecture plus humaniste des textes. Pour ce faire, il leur citera le verset suivant : «Lorsque Je l’aurai façonné et que J’y aurai insufflé de Mon esprit, alors prosternez-vous devant lui.» Ce verset coranique parlait d’Adam et s’adressait aux anges. Par conséquent, chaque descendant d’Adam est dépositaire d’une parcelle de l’esprit de Dieu. Il leur dira que rien ne peut justifier le mépris d’un réceptacle contant une parcelle de l’esprit divin.

Je rêve de ce Voltaire parce qu’il serait faut de dire que la violence perpétuée quotidiennement au nom de l’islam n’a rien à voir avec une certaine conception de la religion de Muhammad (PSL). Dans une de ses lettres, Ibn ‘Abd al-Wahhab, le fondateur du wahhabisme, ne disait-il pas que «celui qui ne répond pas à la prédication par la preuve, nous le faisons plier par l’épée ? [5]» Mais prudence, le wahhabisme ne représente pas l’islam. Cependant, il en fait partie.

Je rêve de ce Voltaire qui criera partout où il y a une tentative d’asservissement de l’homme par l’homme au non de Dieu que «le droit de l’intolérance est donc absurde et barbare : c’est le droit des tigres, et il est bien horrible, car les tigres ne déchirent que pour manger, et nous nous sommes exterminés pour des paragraphes. [6]»

Le Voltaire islamique chantera partout les poèmes d’amour d’Ibn ‘Arabī pour répondre à la haine de ceux qui tuent au nom du Dieu que priait ce même Ibn ‘Arabī. Il répondra aux prophètes du malheur par la poésie :

«Mon cœur est devenu capable de prendre toutes les formes
Il est un pâturage pour les gazelles,
un couvent pour les moines,
un temple pour les idoles,
la Kaaba pour le pèlerin.
Il est les tables de la Torah et le Livre du Coran.
Je professe la religion de l’Amour
où que se dirigent ses caravanes.
Car l’Amour est ma religion et ma foi.»

Quant à moi, je m’associe à Amadou Hampaté Bâ et fais l’appel suivant : «Mes frères et sœurs, apprenons à nous aimer mutuellement et à nous entraider constamment, afin que l’Amour nous mette sur le chemin de la Charité qui mène à la Vérité. [7]»

[1] Voltaire, Traité sur la tolérance, Gallimard, 2016, p.32.

[2] Traité sur la tolérance, p.65.

[3] Traité sur la tolérance, p.69.

[4] Traité sur la tolérance, p.108.

[5] Hamadi Redissi, Le Pacte de Nadjd : Ou comment l’islam sectaire est devenu l’islam, Paris Seuil, 2007, p.94; pour plus de précision sur le lien étroit entre le wahhabisme et le terrorisme je renvoie à la thèse doctorale de Abdoul Aziz Gaye, Le wahhabisme belliqueux dans le texte. De l’influence d’Ibn Taymiyya à sa fondation dans le premier État sa‘udien, sa consolidation dans les États successifs et son adoption contemporaine par le mouvement d’al-Qâ‘ida, sous la direction de Charles Généquand et Maroun Aouad.

[6] Traité sur la tolérance, p.41.

[7] Amadou Hampâté Bà, Jésus vu par un musulman, Stock, 2000 (reéd), p.59.
Publication originelle: http://lesouffleduvent.unblog.fr/2016/08/03/le-monde-musulman-a-besoin-dun-voltaire-seydi-diamil-niane/.

Voltaire à Ferney