Mémoires pour servir à l’histoire du Jacobinisme, 1797-1798, 4 vol., Discours préliminaire, t. I, p. iii-xx
Sous le nom désastreux de Jacobins, une secte a paru dans les premiers jours de la Révolution française, enseignant que les hommes sont tous égaux et libres ; au nom de cette égalité, de cette liberté désorganisatrices, foulant aux pieds les autels et les trônes ; au nom de cette même égalité, de cette même liberté, appelant tous les peuples aux désastres de la rébellion, et aux horreurs de l’anarchie. Dès les premiers instants de son apparition, cette secte s’est trouvée forte de trois cent mille adeptes, soutenue de deux millions de bras qu’elle faisait mouvoir dans toute l’étendue de la France, armés de torches, de piques, de haches et de toutes les foudres de la Révolution.
C’est dans ses annales mêmes [comprendre : «C’est chez Voltaire…»] que j’ai cru devoir étudier la secte, ses projets, ses systèmes, ses complots et ses moyens. C’est à les dévoiler que je consacre ces Mémoires.
Appuyés sur les faits, et munis des preuves qu’on trouvera développées dans ces Mémoires […] nous dirons et nous démontrerons ce qu’il importe aux peuples et aux chefs des peuples de ne pas ignorer. Nous leur dirons : dans cette Révolution française, tout, jusqu’à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné, résolu, statué ; tout a été l’effet de la plus profonde scélératesse, puisque tout a été préparé, amené par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans des sociétés secrètes, et qui ont su choisir et hâter les moments propices aux complots. […]
Je dirai, parce qu’il faut bien enfin le dire, parce que toutes les preuves en sont acquises : la Révolution française a été ce qu’elle devait être dans l’esprit de la secte. Tout le mal qu’elle a fait, elle devait le faire ; tous ses forfaits et toutes ses atrocités ne sont qu’une suite nécessaire de ses principes et de ses systèmes. Je dirai plus encore : bien loin de préparer dans le lointain un avenir heureux, la Révolution française n’est encore qu’un essai des forces de la secte ; ses conspirations s’étendent sur l’univers entier. Dût-il lui en coûter partout les mêmes crimes, elle les commettra ; elle sera également féroce, il est dans ses projets de l’être partout où le progrès de ses erreurs lui promettra les mêmes succès.
Si parmi nos lecteurs il en est qui concluent : il faut donc que la secte des Jacobins soit écrasée, ou bien que la société tout entière périsse, et que partout sans exception, à nos gouvernements actuels succèdent les convulsions, les bouleversements, les massacres et l’infernale anarchie de la France – je répondrai : Oui, il faut s’attendre à ce désastre universel, ou écraser la secte. Mais je me hâterai d’ajouter : écraser une secte n’est pas imiter ses fureurs, sa rage sanguinaire et l’homicide enthousiaste dont elle enivre ses apôtres ; ce n’est pas égorger, immoler ses adeptes et diriger contre eux toutes les foudres dont elle les armait. Ecraser une secte, c’est l’attaquer dans ses écoles mêmes, dissiper ses prestiges, mettre au jour l’absurdité de ses principes, l’atrocité de ses moyens et surtout la scélératesse de ses maîtres. Oui, anéantissez le Jacobin, mais laissez vivre l’homme. La secte est tout entière dans ses opinions ; elle n’existe plus, elle est doublement écrasée, quand ses disciples l’abandonnent pour se rendre aux principes de la raison et de la société.
[…] Assuré de ces preuves, je ne crains pas de dire aux peuples :
« A quelque religion, à quelque gouvernement, à quelque rang de la société civile que vous apparteniez, si le Jacobinisme l’emporte, si les projets, les serments de la secte s’accomplissent, c’en est fait de votre religion et de votre sacerdoce, de votre gouvernement et de vos lois, de vos propriétés et de vos magistrats. Vos richesses, vos champs, vos maisons, jusqu’à vos chaumières, jusqu’à vos enfants, tout cesse d’être à vous. Vous avez cru la Révolution terminée en France ; et la Révolution, en France même, n’est qu’un premier essai des Jacobins ; et les vœux, les serments, les conspirations du Jacobinisme s’étendent sur l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, sur toutes les nations, comme sur la Nation Française. »
Conspiration antichrétienne.
Chapitre I : Des principaux auteurs de la conspiration (tome I, p. 1 et suivantes)
Vers le milieu du siècle où nous vivions, trois hommes se rencontrèrent, tous trois pénétrés d’une profonde haine contre le Christianisme. Ces trois hommes étaient Voltaire, d’Alembert et Frédéric second, roi de Prusse. Voltaire haïssait la religion parce qu’il jalousait son auteur et tous ceux dont elle a fait la gloire ; d’Alembert parce que son cœur froid ne pouvait rien aimer ; Frédéric parce qu’il ne l’avait jamais connue que par ses ennemis. […]
Le premier de ces conspirateurs, Marie-François Arouet, était né à Paris le 20 février 1694 ; fils d’un ancien notaire au Châtelet, la vanité changea son nom en celui de Voltaire, qu’il trouva plus noble, plus sonore, mieux fait pour soutenir la réputation à laquelle il visait…