Lucien, mon grand-père

Texte lu par sa petite-fille, Olga, lors de l’ultime séparation, à la Balme-de-Sillingy, le 6 juin 2016.

Alors tout le monde le sait. Lucien Choudin était un dentiste voltairien. Espèce rare et menacée.

Mais tout le monde ne sait peut-être pas qu’il était un Détrelin. C’est ainsi que l’on appelle les habitants de Détrier, petit village au sud de Chambéry où il passera une grande partie de son enfance et dont j’entendrai parler régulièrement avec une note nostalgique dans la voix. J’ai toujours senti un grand attachement de sa part à ses racines et je suis heureuse pour lui de savoir que bientôt il retrouvera ses parents dans ce petit coin de Savoie qui avait une place particulière dans son coeur.

Alors oui, dentiste, historien, jardinier, généalogiste, écrivain, et tant d’autres choses encore font que j’ai envie de dire aujourd’hui que Lucien était un homme qui aimait la vie. Avec ses complexités, bien sûr, des complexités qu’il gardait pour ses intimes le plus souvent et qui ont fait de lui un homme qui ne laissait pas indifférent.

J’ai imaginé ce matin lui rendre hommage à travers un portrait chinois qui me permettra de donner un contour personnel au grand-père qu’il a été.

Pour commencer s’il avait été un pays ? J’aime à penser qu’il aurait été l’Italie et plus particulièrement la Toscane où il s’est rendu à chaque fois avec le même enthousiasme. Je le revois revenir de Lucca, où  il avait été faire des recherches généalogiques, et me dire en levant les bras en signe de victoire : « J’ai trouvé un chevalier toscan dans notre lignée!!! ». Pépé quoi…

S’il avait été un parfum, l’Eau de Cologne.

S’il avait été un film, le Festin de Babette, que nous étions allés voir tous les trois avec mémé et qui nous avait vraiment plu. Un film sur l’art de bien boire et de bien manger, ça ne pouvait pas ne pas lui plaire.

S’il avait été un bruit, celui des craquements des marches de l’escalier lorsqu’il montait écrire dans son bureau perché.

S’il avait été une nuisance sonore? Le vrombissement de cette incroyable traction Citroën qui l’a rendu repérable dans tout le pays pendant des années.

S’il avait été un dessert? Cette salade de fruits qu’il tenait à concocter à sa façon, occasionnellement. Cette préparation lui permettait de découvrir la cuisine et d’autres ustensiles que le tire-bouchon. Je ne crois pas qu’il ait poussé ses expériences culinaires plus loin. Comme avec par exemple la préparation d’un barbecue qui était pour lui une abomination culinaire, tellement qu’il prenait un malin plaisir à essayer d’en dégoûter ceux qui l’appréciaient !

Pour rester dans l’alimentaire : s’il avait été une odeur, il aurait été celle de l’ail. Et ici tous ses proches comprendront à quoi je fais référence. Oui car mon grand-père était une de ces rares personnes à croquer les gousses d’ail comme d’autres croquent un carré de chocolat (mémé pour ne citer qu’elle). Je le revois attraper une gousse d’ail sous l’évier, se l’éplucher et la déguster crue en guise d’amuse-bouche . Autant dire qu’au cabinet les patients de 13h30 n’étaient pas toujours les plus chanceux.

S’il avait été une partie du corps? Un orteil évidemment. Comment oublier ce jour où le démarrage de la tondeuse à gazon fut si violent que l’engin sursauta puis atterrit sur le pied de pépé? Il perdit un doigt et demi de pied. Enfin ce ne fut pas perdu pour tout le monde puisque, tentant de récupérer l’orteil, je vis Candide le dalmatien attraper l’extrémité et en faire son goûter.

Et, au-delà des souvenirs personnels, si pépé avait été une boisson? J’hésite entre le vin et le Pulmosérum. Maintenant je me demande s’il n’y avait pas un phénomène de vases communicants entre ces deux liquides! Le vin a tenu une très grande place dans sa jouissance des choses de la vie. D’ailleurs, Yves me disait qu’il y a encore quinze jours, il avait apporté un condrieu à Moëns et que, cette fois-ci, pépé n’avait pas laissé sa part au chien. A ce propos, en arrivant dans ce lieu que l’on redoute toujours un peu – un crématorium -, j’ai noté que nous  nous trouvions au chemin de la Vigne comme quoi, jusqu’au bout…

Enfin, je dis enfin parce que je pourrais continuer comme ça encore longtemps, s’il avait été un personnage historique? Alors bien évidemment comment parler de Lucien Choudin et faire l’impasse sur cette passion qui l’anima tant d’années : Voltaire. Je ne peux que rendre hommage à sa constance dans le traitement de son sujet. Mais je laisserai les spécialistes approfondir cet aspect de l’homme, le moment venu.

A propos de passion, je tiens à rendre également hommage à son épouse, toi mémé, car tu auras été la clé de voûte de cette occupation dévorante. Passion qui l’aura poussé vers l’écriture et qui aujourd’hui nous laisse en héritage des ouvrages de valeur.

Enfin, j’ai une pensée particulière pour sa fille Fabienne qui, malheureusement, ne peut être présente ce matin mais qui, je le sais, est avec nous par la pensée.

Pour conclure, je dirai que mon grand-père était un homme de culture, dans les deux sens du terme. Et qu’aujourd’hui je n’ai qu’une envie : c’est d’aller boire un bon verre de vin à sa mémoire à l’ombre des arbres du Jardin de Candide.

Olga

Voltaire à Ferney